Willy Gianinazzi

Willy Gianinazzi

par Christophe Prochasson

Je crois bien que Willy Gianinazzi est l’un de mes plus vieux amis. Et s’il me semble que j’ai bien changé, Willy, lui, est resté fidèle à lui-même, comme à ses amis. Comme il y a trente ans, lui, le libertaire sans concession, a conservé un style capillaire inimitable, à peine perturbé par les effets du temps, un goût irrésistible pour le décontracté et les chemises aux couleurs souvent proches de certaines couvertures des livres qu’il édite, une générosité et une attention aux autres dignes des meilleurs militants auxquels il a consacré de nombreuses heures d’études.

Car si Willy est l’un des secrétaires d’édition des Éditions de l’EHESS, il est aussi un savant imaginatif, curieux de tout, et d’une rigueur « à l’ancienne » dont ont le secret tous ceux qui préparent les livres de chercheurs parfois désinvoltes avec les questions de formes, orthographe et syntaxe compris. Devenu aujourd’hui l’un des meilleurs connaisseurs de Georges Sorel, auquel il a consacré un livre magnifique et de très grande importance – Naissance du mythe moderne. Georges Sorel et la crise de la pensée savante, 1889-1914 (2006, Éditions de la MSH) –, il serait capable de sacrifier ses vacances pour éclairer l’une des énigmes de son auteur qui n’en manquent pas . Willy, après avoir entamé une carrière dans la banque à Lugano – ce rappel fera sourire ceux qui le connaissent bien et auront quelque mal à se faire une idée de « Willy le Banquier » ! – fut de ces jeunes historiens qui, au tournant des années 1970 et 1980, se lancèrent dans l’histoire du mouvement ouvrier au temps de ses grandes heures, celles de Georges Haupt, de Madeleine Rebérioux ou de Jacques Julliard. Il apporta pour sa part une contribution originale en se consacrant à l’étude du syndicalisme révolutionnaire italien et de l’une de ses grandes figures Enrico Leone auquel il consacra sa thèse d’histoire à l’université de Paris VIII en 1984. Fidèle, il le fut aussi à ces marginaux de la gauche européenne, pris entre le marteau du communisme ou des orthodoxies marxistes et l’enclume de la social-démocratie. Hier, Leone et Sorel, aujourd’hui, André Gorz, auquel Willy consacre désormais principalement ses travaux de chercheur.

À partir de 1992, Willy Gianinazzi travailla aux Éditions de l’EHESS, d’abord comme contractuel puis comme ingénieur d’études en édition scientifique et technique. Je ne sais combien de livres lui doivent sa marque. Parfois bougon, parfois enthousiaste, parfois flegmatique et fataliste, toujours loyal, Willy publia des livres qu’il aimait, d’autres aussi qu’il aimait moins. Mais derrière cette activité professionnelle – le temps est venu d’en faire l’aveu ! –, il y eut aussi une activité clandestine venant s’ajouter à la réalisation d’une œuvre personnelle. Sa carrière est ponctuée de « temps partiels » voire de congé formation qui lui permirent de poursuivre son œuvre scientifique. Willy fut aussi en effet, durant plus d’un quart de siècle, l’artisan discret de la revue Mil Neuf Cent. Sans lui, faute de sa patience amusée, faute aussi parfois de ses coups de gueule, la revue n’aurait tout simplement pas existé. Ici se mesure également son immense générosité que l’anar chevelu portant chemises à fleurs met à la disposition d’une rédaction socialement, culturellement et politiquement bigarrée. Je connais peu d’hommes aussi tolérants que lui, en dépit de la fermeté de ses convictions. Willy se trouvait bien dans cette petite famille où chacun s’accordait pour repousser toutes les orthodoxies, toutes les formes d’autoritarisme intellectuel et toutes les certitudes à commencer par celles qu’apporterait la science. Selon le titre du livre que Georges Goriély avait jadis voué à Georges Sorel, le « pluralisme dramatique » de Mil Neuf Cent a toujours convenu à Willy Gianinazzi.

Il y aurait bien d’autres traits à évoquer pour rendre juste le portrait de Willy : son rire haletant, grave et presque articulé, ses délicieuses soirées, organisées avec Gisèle, rue des Pivoines à Antony au cours desquelles l’hôte sait se mettre au fourneau, et, plus encore, cette petite histoire attestant le grand bon sens de cet historien subtil demandant à un coiffeur rapace, qui exigeait outrageusement une rémunération supplémentaire pour réduire une toison il est vrai impressionnante, s’il proposait des réductions aux chauves… Il y aurait tant d’autres souvenirs à mobiliser pour rendre hommage à l’éditeur, au chercheur et à l’ami, que la place, ici, sans doute manquerait.

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