Internationale Situationniste, Numéro 8
janvier
1963

Renseignements situationnistes

Dans le dernier chapitre de L’avant-garde culturelle parisienne depuis 1945 (éd. Guy Le Prat, 1962), Robert Estivals présente une interprétation des théories situationnistes à laquelle aucun de nous certainement ne peut adhérer, parce que la compréhension de la spécialisation sociolo gique, que l’auteur applique ici à un terrain où l’I.S. est effectivement ob servable, doit être elle-même jugée en se référant à l’ensemble de nos thèses, et ne peut être tenue pour un instrument de mesure extérieur et indépendant. Il y a visiblement entre Estivals et nous quelques oppo sitions de base, quant au maniement des concepts et quant à l’évaluation historique de la société globale. Cependant, à un tout autre niveau, nous nous bornerons ici à noter que, sur quarante-neuf citations qui prétendent rendre compte de la théorie situationniste, cinq seulement émanent de textes postérieurs à la formation de l’I.S., et encore aucune de celles-ci n’est-elle plus récente que le milieu de 1960. Ainsi, par cette valorisation systématique de la recherche des origines historiques d’un ensemble lui-même resté nébuleux, Estivals s’expose à mal comprendre cela même qu’il étudie, dont il serait plus sûr de chercher le sens véritable à la lumière du développement supérieur, plus complexe, qui en est issu. Du fait de cette insolite sélection des informations — et en laissant de côté nos divergences méthodologiques — il nous faut dire que, malgré les apparences, l’I.S. n’est pas le sujet du dernier chapitre du livre d’Estivals.

Dans les conclusions de son livre Introduction à la modernité (Éditions de Minuit, 1962), Henri Lefebvre fait de l’I.S. quelques éloges hâtifs avec lesquels nous ne sommes pas d’accord. Premièrement, nous refusons d’être assimilés à la jeunesse. C’est une manière élégante de neutraliser les problèmes en leur donnant quelque chose de la force irrésistible des saisons ou de capricieuses mutations sociologiques dont il faut suivre le développement. Pour notre part, nous ne prétendons pas représenter l’avenir (ne représente un avenir calculable que le personnel jeune for mé dans le but de gérer la suite d’un certain présent, par exemple une promotion de Saint-Cyr ou de l’école des cadres du parti communiste russe). Et nous n’entendons pas non plus nous contenter de ce droit abstrait sur le futur. La question est : par suite de quelles inintelligences, veuleries, prudences, petites amitiés, certaines recherches et affirmations présentes sont-elles fuies, cachées, remplacées par d’autres ? Et aussi : qui est complice de la médiocrité présente, qui s’y oppose, qui tente une conciliation ? — Celle-ci, au reste, étant d’autant plus vaine que sa réussite voudrait seulement dire qu’il faut attendre de voir venir d’ailleurs la réelle « jeunesse » de la contestation : comment pourraitelle, en effet, se mêler aux organisateurs de la longue et malhonnête bêtise d’hier, qui tentent encore de se dédouaner par un vernis de mo dernisation ? « Le degré de l’opposition et de la réconciliation dont une époque est capable, est chose contingente », dit Hegel. Ce n’est pas ce degré qui serait en train de varier notablement dans les années [19]60, c’est le degré d’intelligence et de courage subjectifs qu’il faut pour ne pas épouser les fausses réconciliations, sans rien se dissimuler de la réalité de l’opposition. En cette matière, il n’y a pas de mûrissement des conditions objectives, il n’y a pas d’ultra-gauche. On peut trouver tout de suite ses adversaires, c’est-à-dire sa vérité.

Le deuxième point inacceptable illustre admirablement ce qui précède : c’est un parallèle entre l’I.S. et un groupe de jeunesse oppositionnelle du parti communiste, si clandestin qu’il n’aurait jamais rien fait ni rien publié. Ici nous avons le doigt sur la plaie. Cette belle jeunesse, à l’image de ses aînés, doute, se cherche, et ménage la chèvre et le chou. Voilà exactement comment on ne trouve rien, et comment on accepte la to talité de la boue du présent, avec l’impatience de la jeunesse, en effet, que le temps calmera. D’ailleurs, Lefebvre les oppose à nous en disant qu’eux n’ont pas désespéré de l’U.R.S.S. Nous non plus. L’avenir d’une société révolutionnaire en U.R.S.S. (et aussi, bien sûr, en Angleterre) paraît plus vite réalisable qu’en Mauritanie, quoi qu’en pensent peut-être les fanonistes. Mais ce groupe qui « se tait en attendant son heure » (à qui appartient-il donc de marquer notre heure dans l’histoire ?) serait moins bien caché dans le P.C.F. s’il avait un peu plus étudié la réalité « désespérante » du pouvoir actuel en Russie (et aussi, bien sûr, en Angleterre).

Plusieurs personnes nous ont signalé récemment que des gens, qui ont quelque petit rôle culturel ici ou là, prétendent connaître ou avoir connu personnellement tel ou tel situationniste, et d’ailleurs mêlent l’éloge au blâme dans leurs « souvenirs » sur nous. Nous devons pré venir les lecteurs de cette revue que, le plus souvent, c’est faux. Et nous pouvons même suggérer un assez bon test pour détecter les imposteurs : ceux qui ont réellement eu affaire à nous n’en disent que du mal — exceptés quelques-uns qui nous ressemblaient — et même se portent facilement aux calomnies les plus excessives. Quel est donc le sens de ces faux souvenirs sur des contacts avec l’I.S. ? C’est simple. On ne nous rencontre pas facilement. Nous avons une idée assez favorable du dialogue pour commencer par sa base élémentaire : en refuser immédiatement les apparences à ceux avec qui il sera sûrement impossible. Nous ne mériterions d’être pris au sérieux par personne si nous nous étions mêlés aux politesses, discussions ou échanges minuscules du milieu artistique et culturel de ces dernières années (surtout de sa misérable fraction moderniste, celle qui est encore en train d’y assurer son trou). Ce milieu a normalement répondu à ce boycott de notre part en ignorant officiellement notre existence. Maintenant que l’I.S. est déjà un peu trop connue pour une affectation d’ignorance totale, et comme ces gens ont toujours aussi peu de chances de nous approcher, et aucune envie d’avouer ce détail, il est utile pour eux de prétendre l’avoir déjà fait. Donc se méfier des contrefaçons : tout le monde n’a quand même pas eu la chance de se faire exclure de l’I.S. !

La publication de la revue de l’I.S. en langue allemande, retardée par de nombreuses difficultés, ne commencera que dans le premier trimestre de 1963. Son adresse est Der Deutsche Gedanke, PF 866, München 1, Allemagne. Le « dictionnaire de poche des concepts situationnistes », dont la parution avait été décidée par le C.C. en février 1962, subira pour sa part un retard encore plus lourd, mais sera probablement modifié dans le sens d’un agrandissement. L’adresse de la revue Situationistisk Revolution est : Kristinelyst, à Helsted-Randers, Danemark. La nouvelle adresse d’Internationale Situationniste est : B.P. 75-06, Paris. Pour les publications en néerlandais de l’I.S., on peut joindre Jan Strijbosch au café Tienpont, 2 Paardenmarkt à Anvers. Et pour l’Angleterre : Alexander Trocchi, 32 Heath Street, London N.W.3.

Plusieurs textes situationnistes ont été reproduits par Notes Critiques, « bulletin de recherche et d’orientation révolutionnaires » (25, cours Pasteur, à Bordeaux) dans son troisième numéro. Ce numéro est, dans l’ensemble, en net progrès sur certaines des options débattues dans les précédents (les conceptions organisationnelles de Lefort, etc.). Un progrès décisif serait marqué par la publication plus autonome et co hérente des conceptions de cette équipe elle-même, qui fait encore la part trop belle aux tendances extérieures, dont certaines sont difficile ment conciliables.

Le fragile gang nashiste, dont les seules bases publiques étaient en Suè de, mais qui essayait d’y instruire quelques émigrés pour les renvoyer ensuite soutenir le confusionnisme dans leur pays, s’est aggloméré et soutenu quelques temps à coups de mensonges, certains seulement ridicules, d’autres ignobles. Parmi ceux-ci relevons, dans la déclaration de Stockholm, en août, le reproche lancé à l’I.S. d’avoir affirmé sa solidarité avec les Allemands jugés à Munich « seulement après que le verdict ait été annoncé... geste sans signification, plutôt tard dans la journée », alors que notre intervention à l’audience avait même été rapportée par la presse scandinave ; et alors que ces nashistes « solidaires » au pro cès de certains exclus allemands au point de faire croire partout que Nash en personne était co-accusé, ont ensuite exercé le maximum de pressions en Scandinavie pour empêcher des gens de seulement par ler du procès, réel celui-là, de Lausen, impliqué plus gravement dans le même délit de presse, parce que Lausen était encore dans l’I.S. Puis ces mensonges sont apparus si gros que les nashistes, qui aiment tant les journaux et la foule, se sont retrouvés isolés. Les nashistes ont fait le maximum pour compromettre autant de gens que possible en mé langeant leurs noms à leur action, et se sont attirés de cruels démentis publics. Ils ont éclaté en tous sens, les accords entre eux s’effritant et se reformant sur un rythme épuisant, et suivant des combinaisons pure ment probabilistes, selon les occasions du commerce. Et la porte qu’ils tenaient ouverte à n’importe qui en vertu de leur seul principe original (exclus, ils se sont découverts ennemis de l’exclusion), servait aussi l’instant d’après, pour les fuir en courant. Plusieurs de ces transfuges sont venus se présenter à l’I.S., qui a rejeté, sans aucune discussion ni excep tion possibles, ceux qui ont passé par le nashisme.

Finalement, dans la déroute, les nashistes ont été obligés de faire un éclat en sortant leurs propres idées, celles de l’I.S. devenant trop dangereusement connues, surtout après le nouveau style de conférence inauguré par J.V. Martin à la fin de novembre, à l’Université d’Aarhus. Ils ont abandonné même la référence de bluff à une « Deuxième Internationale Situationniste », dans la manifestation du dernier carré nashiste à Copenhague en décembre 1962. Et ces idées nashistes pures répandues par voie d’affiches se sont trouvées être — très au-delà du réfor misme et d’une certaine tradition auxquels ils se ralliaient déjà en août — l’attaque contre les situations ludiques en faveur des rites cultuels ; plus la reprise de thèmes messianiques sur l’individu unique devenant Dieu, et toute la suite de cet air bien connu.

Ce premier nashisme — il y en aura d’autres ! — sort donc, sous forme de poussière, de sa tentative d’opposition spectaculaire contre l’I.S. On ne compte plus qu’un faible degré de retombées nashistes en Suède, en Hollande, et surtout en Allemagne où la revue du nashisme-idéaliste Unverbindliche Richtlinien mélange très discrètement des souvenirs situationnistes à son retour à la divagation eschatologique et à la « mystique des chefs ». Signalons, pour conclure, qu’à notre connaissance la durée moyenne d’un nashiste a été de onze semaines.

À la suite des procès engagés contre les situationnistes à Munich, dont nous avons parlé dans I.S. 7, page 51, les quatre qui avaient entretemps été exclus de l’I.S., pour leur modération sur d’autres points, ont été condamnés le 4 mai, avec sursis, à cinq mois et demi de prison. En ap pel, vers la fin de l’année le jugement a été confirmé, mais en réduisant le temps de prison, toujours assorti du sursis. Cette deuxième instance avait d’ailleurs fourni l’occasion à deux d’entre eux, devenus cryptonashistes, de publier le 4 novembre une déclaration malencontreuse. Cette déclaration, renversant les positions précédentes de leur défense en groupe — et de ceux qui se sont solidarisés avec eux — admet un des points de l’imbécile accusation selon laquelle ils seraient des porno graphes ; et, se piquant au jeu, les auteurs affirment que c’est bien leur droit de l’être, en se référant à l’Arétin, Sade, Miller, Genêt et les classiques. Ce qui est d’autant plus consternant que même sans comparer si loin, il est patent qu’ils ne sont rigoureusement rien dans le genre en question.

Uwe Lausen, jugé le 5 juillet, est le seul a avoir été effectivement emprisonné trois semaines. L’I.S., après avoir protesté à l’audience du 4 mai, a diffusé deux tracts, le 25 juin à propos de l’ensemble de cette affaire, et le 16 juillet (Das Unbehagen in der Kultur) sur la condamnation de Lausen.

Le lettrisme existe encore. Comme dernier événement, l’éternel Lemaître s’est dédoublé. De plus en plus semblable au héros de Chesterton, « le nommé Dimanche », il organise sa propre opposition, et discute âprement avec lui-même en deux petites feuilles ronéotypées où s’étalent des comptes de bouts de chandelles (lequel doit à l’autre 400 anciens francs pour son labeur de mise sous enveloppe de leurs œuvres et se fait encore tirer l’oreille, etc.) Il y a quand même de la place pour attaquer l’I.S., dont il suppute qu’elle a perdu un tiers exactement de son détestable programme, en abandonnant la méthode du détourne ment. Où a-t-il pris ses informations ? Mystère d’autant plus impénétrable que Lemaître reconnaît dans le même papier, d’un air pas content, que nous affectionnons toujours la dérive. Or, selon les formules de G. Keller : « Notre méthode exposée par l’image de l’appareil de Galton nous a permis de mettre en perspective le détournement comme un détail précis du processus général des dérives. Il ne s’agit pas en ce cas d’une réduction mais d’un dépassement, parce qu’il ne saurait y avoir de dérive qui n’implique pas de nombreux détournements. Le détour nement est lui-même divisible selon deux positions qu’il faut distinguer dans le cours de la dérive, suivant que l’on rencontre une opposition passive ou active au mouvement : résistance ou réaction. Le détournement est l’effet nécessaire qu’impose un obstacle. Cet obstacle peut être psychique ou physique, mais le moment du détournement vainqueur est nécessairement celui d’une rencontre surprenante, étrange, déjà définie par Rimbaud. Dans le mouvement mental, le détournement est immédiatement le renversement d’une chaîne d’associations normales, par le déplacement complet du concept possible attaché à l’objet imposé (impossibilité d’identification précise) ; c’est ainsi que le détourne ment permet de lire des textes dont l’habitude dominante interdisait la compréhension élémentaire. Le champ de la dérive est un complexe, ou un réseau, de multiples détournements en action — qu’il s’agisse d’un poème, de Finnegan’s Wake, d’une ville, d’un paysage, d’une maison, d’un labyrinthe, etc. Une dérive n’est même pas possible sans un minimum de détournement de l’inertie, c’est-à-dire du mouvement en ligne droite. Ceci est tellement évident que la possibilité d’une dérive sans détournement est à considérer comme un éclatant non-sens, qui ne mérite certainement pas d’être discuté. »

Pour la mort de Marilyn Monroë, Goldmann, dans France-Observateur du 6 septembre 1962, a écrit un article qui est bien meilleur que tout ce qu’il avait depuis quelque temps pris l’habitude de consacrer à la dissolution culturelle. Les notions qu’il avait avancées en 1961 comme simples hypothèses (voir la critique d’I.S. 7, page 52) sont maintenant données comme des certitudes établies, qui fondent sa démonstration. La thématique de l’absence et la destruction de l’objet dans l’art sont maintenant explicitement liées par lui au travail parcellaire et à la consommation des loisirs passifs. Il va jusqu’à suspendre l’apparition d’une autre culture à la domination libre par les hommes de l’emploi de leur travail, constituant seule une alternative avec une société réifiée des exécutants et du conditionnement confortable. Ainsi donc, que ceci soit le fruit d’une intensification du rythme de ses recherches ou d’un vide heureusement comblé dans ses lectures, nous le comprenons beaucoup mieux.

Après les interdictions et arrestations qui lui ont paru nécessaires, Ben Bella, parlant au début de janvier au correspondant de l’agence Italia, a tiré argument d’un vote unanime de l’Assemblée Constituante algé rienne, dont il a désigné lui-même tous les membres, pour conclure : « Il n’y a pas d’opposition en Algérie, ou pour le moins il n’y en a plus ». Comme personne quand même n’est assez idéologue pour croire que l’Algérie indépendante a réalisé par décrets-lois l’abolition des classes, l’abondance, l’autonomie des masses et la transparence des rapports humains, on est obligé de conclure que la révolution algérienne est glacée, pour longtemps peut-être.

Les masses révolutionnaires d’Algérie, qui ont tant combattu, ont gagné contre tous les ennemis redoutables qu’elles connaissaient. Elles ont été vaincues facilement par les forces adverses incertaines qu’elles n’attendaient pas, que rien ne les avait préparées à affronter. La direction du F.L.N. avait certes organisé de longue date une idéologie terroriste du monolithisme, derrière laquelle se heurtaient rudement, au sommet, des équipes aux mobiles insaisissables. Les conditions extrêmement dures et la longueur de la lutte isolée des Algériens a facilité ce sous-développement du projet explicite de la révolution, sans lequel le courage de la lutte immédiate, qui contient en lui-même la totalité de l’espoir, mène à des victoires grandement décevantes. Presque aucun Français n’a aidé les Algériens, si l’on n’entend pas seulement par là por ter les valises du Front mais soutenir la part de critique et de théorie réalistes pour la compréhension des principaux problèmes : ceux qui devaient inévitablement se poser à la défaite des troupes françaises et de la minorité raciste. Au contraire, ce goût de l’approbation en bloc d’un appareil, qui caractérise le chrétien gauchiste ou le stalinien déçu, reporté sur « le parti algérien » a favorisé une illusion ultra-frontiste, qui peut-être aujourd’hui se déchire en exagération inverse : la stupeur et la consternation devant des résultats si imprévus.

Pourtant, les seuls côtés imprévus dans la crise de l’été 1962 ont été d’abord la vitesse et la confusion exagérées des coteries armées luttant pour saisir le pouvoir au nom du même programme, encore qu’il fût très sommaire ; ensuite la faiblesse de la tendance spontanée qui a essayé de rejeter en même temps les fractions rivales, en s’opposant à l’affrontement armé (menace d’une grève générale, etc.).

Tout a été joué en septembre, avec la manière dont le Bureau Politique a pris le pouvoir. Sans disculper pour autant les brouillons de la willaya 4, qui s’étaient étrangement conduits dans la liquidation de la « zone autonome » d’Alger, et qui n’ont rien fait pour reculer une épreuve de force — barrant la route d’Alger — qui non seulement s’est traduite par leur effondrement rapide mais encore a été la modification irréversible pour tout le mouvement de libération algérien. Les combats autour d’Orléansville et de Boghari ont signifié que désormais, dans le camp de la révolution algérienne, les discussions pourraient être tranchées par l’armement lourd.

Plus que le désenchantement des militants algériens qui reviennent travailler comme ouvriers en France, ou qui sont en partance pour continuer la lutte anticolonialiste en Angola, plus que les signes d’islamisation dans les lois ou règlements, plus que les premières jacqueries des paysans à qui l’on promet une réforme agraire prudente et même la franche prise en mains du congrès syndical par des nervis du gouver nement, un fait privilégié, selon nous, révèle combien le mouvement révolutionnaire d’Algérie a raté sa mainmise sur la société : le 2 janvier, dans son premier bulletin l’agence Algérie Presse Service a révélé que les combats de septembre avaient fait « plus d’un millier de morts ». Deux ou trois jours après, la même agence rectifiait l’erreur commise à ce propos, et comptait dix morts environ. La succession de ces deux chiffres suffit à montrer qu’un État moderne est désormais installé en Algérie.

Au mois d’octobre 1962, le dernier concile de l’Église Catholique a commencé à Rome.

La crise autour de Cuba a illustré deux affirmations de cette revue en avril 1962, dans Géopolitique de l’hibernation. D’abord la décision commune russo-américaine de ne jamais faire la guerre thermonucléaire, mais en s’élevant « toujours plus haut dans le spectacle de la guerre possible » ; et aux U.S.A. à ce moment on a bâti des abris anti-atomiques supplémentaires à coefficient de « protection » encore moindre. D’autre part, l’entreprise de liquidation de la révolution cubaine largement avancée par le choix idéologique néo-léniniste. Si les dirigeants cubains de la première phase ont montré (discours de Castro le 26 mars) qu’ils ne se laisseraient pas facilement arracher le contrôle du parti unique par des bureaucrates parachutés, ils ont montré aussi qu’ils s’en remet taient aveuglément pour leur défense aux soldats et aux missiles ato miques russes. Comme la Russie les a abandonnés, parce que son mauvais calcul sur la stratégie planétaire théâtrale l’obligeait sur ce point à une débandade complète — qui ouvre une nouvelle période dans l’équilibre du partage mondial — et comme l’administration Kennedy n’a d’autre souci « stratégique » que la destruction politique du régime castriste par tous les moyens, on peut dire que le sort de la révolution cubaine, très compromis, est uniquement dans les mains des masses d’Amérique Latine. Seule cette menace virtuelle de soulèvement protè ge encore Cuba d’un débarquement de l’armée américaine, et nulle garantie de Khrouchtchev ou de personne d’autre. Tout tient finalement à l’exemple que Cuba donnera : de quelle société nouvelle ? À cet égard il faut dire que la conjonction du néo-léninisme autoritaire (livret de travail ouvrier) et des pressions économico-militaires de l’encerclement américain va vers la dégradation d’un tel exemple.

La VIe Conférencede l’Internationale situationniste s’est tenue à Anvers du 12 au 16 novembre 1962, dans d’excellentes conditions architecturales et ludiques. Elle a débattu de l’ensemble des problèmes de la radicalisation de l’I.S. depuis Göteborg : la cohérence situationniste ; la définition précise de nos rapports avec les tendances extérieures favorables, ou ennemies (lutte anti-nashiste) ; la clandestinité et l’expérimentation dans l’immédiat.

La Conférence a décidé la réorganisation de l’I.S., considérée comme un seul centre uni, en supprimant les divisions par sections nationales. Ce centre ne sera plus constitué de délégués de groupes locaux (nous encouragerons de tels groupes dès qu’ils se forment à rester autono mes, hors de l’I.S.) mais se considérera lui-même comme représentant globalement les intérêts de la nouvelle théorie de la contestation, sans en déduire aucun rôle dirigeant sur des forces subordonnées (« notre mandat ... nous ne le tenons que de nous-mêmes »). Le dernier C.C. dé signé à Anvers, qui aura aussi la tâche d’élire dans l’année qui suit ceux des candidats qui seront admis comme participants d’une I.S. devenue dans sa totalité ce centre (à un niveau égal de participation théorique et pratique de tous) comprend Michèle Bernstein, Debord, Kotányi, U. Lausen, J.V. Martin, Jan Strijbosch, A. Trocchi et Vaneigem.

Le travail pratique de l’I.S. a été divisé en régions, correspondant à des ensembles de conditions culturelles et linguistiques, les situationnistes se partageant d’après leur origine et position géographique les fonctions de correspondants de notre centre pour ces zones d’un anti-N.A.T.O. La première Région (Nord-Europe) comprend les pays scandinaves et l’Islande. La deuxième (Centre-Europe) englobe les deux Allemagnes, l’Autriche, la Suisse ; et doit développer nos contacts vers l’Est. La Région Atlantique comprend les îles britanniques et les U.S.A. La quatrième Région (Ouest-Europe) s’occupera de la France, des trois pays du Benelux, de l’Italie et, discrètement, de la péninsule ibérique. Enfin, une cinquième Région (Afrique-Asie), seulement virtuelle, servira à grouper toutes nos liaisons actuellement éparses dans cette moitié du monde. La quatrième Région s’occupera momentanément de coor donner ces relations. Les quatre régions effectives de l’I.S. devront avoir aussitôt que possible une revue chacune, et la revue Internationale Situationniste, à partir de son numéro 9, sera réservée a l’expression situationniste pour la Région Ouest-Europe.

Il a été décidé à Anvers que la VIIe Conférence de l’I.S. aura lieu à Vienne.

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